Voyage au coeur du cercle pédagogique – chronique d’un atelier

Lorsque j’ai sollicité ma collègue Patricia-Anne Blanchet pour animer un atelier chez i-mersion CP, elle a immédiatement accepté. Elle a compris ma demande et s’est engagée à nous parler de son rôle et de ses responsabilités en tant que conseillère en pédagogie autochtone à l’Université de Sherbrooke, où elle participe à la décolonisation des pratiques pédagogiques dans l’enseignement supérieur. Au cours de sa présentation, elle nous a éclairés sur les réalités autochtones en enseignement supérieur. Il est à noter que la représentation partagée par notre conférencière est issue de rencontres, recherches et consultations auprès de diverses organisations autochtones en éducation Pilote, Audy, Blanchet et al. (2021). Voici ce que j’ai retenu de cette expérience, tant sur le plan personnel que professionnel.

Dès le début, toutes les personnes participantes se sont installées en cercle pédagogique. En présentiel, il est facile de tracer un tel cercle au sol. En ligne, nous avons dû utiliser un tableau blanc pour nous présenter. Puis, nous avons commencé notre voyage dans la roue de médecine ou cercle de la vie chez les Premiers Peuples qui guide l’ordre de toutes choses et symbolise l’interconnexion entre les dimensions de la personne, dans sa relation au monde naturel visible et invisible (Absolon, 2010).

Impression d’écran de la roue de médecine représentant le cercle de la vie chez les Premiers Peuples

Le voyage a débuté par le Nord, qui symbolise l’âme, le spirituel, le savoir-être, les valeurs et les croyances. Nous avons été invités à nommer notre objectif pour l’atelier et à réfléchir à notre relation avec les Premiers Peuples. Près de 45 % des personnes participantes ont mentionné être en développement dans leur relation avec les Premiers Peuples. Les projets dans les différents établissements sont nombreux et variés, allant de l’accompagnement d’une vingtaine d’étudiants en AEC en intervention sociale auprès des jeunes et des familles en contexte autochtone à la sécurisation culturelle et à la décolonisation des savoirs dans un contexte universitaire.

Le voyage s’est poursuivi vers le Sud, qui représente le corps, le physique, le savoir-faire, les habiletés et le territoire. Nous avons abordé des statistiques pour mieux comprendre la réalité des Premiers Peuples. Au Québec, il y a 10 Premières Nations, 1 nation Inuit, 45 communautés des Premières Nations et 16 villages Inuit qui dépassent les frontières géopolitiques. Cela représente 2 % de la population québécoise. Les Premiers Peuples sont une population jeune, comptant près de 50 % de moins de 25 ans, avec des familles nombreuses qui sont appelées à déménager fréquemment, ce qui implique des transitions scolaires (comité M8wwa ᒪ ᒧ mamu, 2021). Patricia-Anne nous a ensuite invités à identifier le territoire traditionnel sur lequel nous sommes nés. Pour ma part, je suis née sur les territoires partagés de Kanien’keha:ka (Mohawk) et de Ho-de-no-sau-nee-ga (Haudenosaunee), et je travaille actuellement sur le territoire Kanien’keha:ka (Mohawk). Je peux alors adopter la déclaration reconnaissance appropriée pour la campus de Longueuil, c’est-à-dire « Dans la conscience des enjeux historiques et contemporains entourant les territoires ancestraux des Premiers Peuples au Québec, nous aimerions reconnaitre la nation Kanien’kehá:ka comme gardienne actuelle des terres et des eaux sur lesquelles se situe le Campus de Longueuil de l’Université de Sherbrooke. Nous tenons aussi à y reconnaitre la présence historique de plusieurs autres nations, comme la Nation Anishinaabeg et la Nation Atikamekw Nehirowisiw sur ces lieux de rassemblement traditionnels. C’est dans le respect et la gratitude des liens avec le passé, le présent et l’avenir que nous honorons les relations continues entre les Premiers Peuples, le peuple québécois et toutes autres populations qui y résident ». Il est à noter qu’elle est encore en composition.

Nous avons poursuivi notre discussion vers l’Est, en nous concentrant sur l’intellectuel, la tête, le savoir et les connaissances pour discuter des réalités historiques et contemporaines. En sous-groupes, nous avons abordé les conséquences de la colonisation, ainsi que les biais, les mythes, les stéréotypes et les préjugés à déconstruire dans six domaines distincts : socioéconomique, sécurité, éducation, famille, santé physique et santé psychologique. Certaines personnes ont ressenti un malaise au cours de cette activité, mais il était important de nommer ce malaise. Patricia-Anne a proposé deux ressources particulièrement intéressantes : le Livret d’Amnistie internationale « Tu n’as pas l’air Autochtone » et autres préjugés, ainsi qu’un livre de Pierre Lepage intitulé Mythes et réalités sur les peuples autochtones.

Nous nous sommes ensuite tournés vers l’Ouest pour aborder les émotions, le cœur, le savoir-vivre ensemble, les relations et les attitudes. Nous avons discuté de notre inconfort et Patricia-Anne nous a expliqué la posture d’alliée des Premiers Peuples. Une trousse d’outils pour les alliées aux luttes autochtones a été partagée, l’idée étant de s’engager dans une démarche d’apprentissage tout au long de notre vie. Elle a parlé de la terminologie à utiliser ou à éviter, et j’ai appris personnellement qu’il fallait éviter le terme « Esquimau », qui est offensant et signifie « mangeur de viande crue ». Elle a également présenté le parcours vers la sécurisation culturelle, que j’ai trouvé particulièrement pertinente. D’ailleurs, une personne a fait le parallèle entre ce parcours et celui de l’appropriation de la compétence numérique.

Parcours vers la sécurisation culturelle tiré de la Boite rouge vif

Patricia-Anne a discuté avec nous des mises en garde et des pièges à éviter pour développer notre posture d’alliée aux Premiers Peuples, en s’appuyant sur un ensemble de ressources numériques en pédagogie autochtone à mobiliser. Elle nous a invités à prendre conscience de nos biais — conscients ou inconscients — pour accepter notre ignorance et faire de la place à la connaissance et à la reconnaissance.

Image tirée de la présentation Genial.ly

Nous sommes retournés au Sud où Patricia-Anne a partagé plusieurs exemples intéressants, notamment les travaux du Comité M8wwa ᒪ ᒧ mamu et la création de capsules didactiques et d’outils pédagogiques pour enseigner les perspectives autochtones. Pour ceux qui cherchent des ressources supplémentaires, elle a souligné quelques pages institutionnelles utiles, y compris le Plan d’action pour et avec les peuples autochtones de l’UdeS pour 2021-2026, l’onglet Faculté d’éducation, la reconnaissance territoriale de l’UdeS (Nation W8banaki), et le répertoire de ressources PRESE pour les Premiers Peuples.

Elle a également survolé des projets collaboratifs en cours, tels que Premiers Peuples en formation à l’enseignement (ULaval — UdeS — UQTR, 2020-2022), 3PEQ : Perspectives Premiers Peuples en éducation au Québec (Boite Rouge Vif, 2022), Pictogrammes culturellement signifiants pour enfants des Premiers Peuples (Fondation Jasmin Roy, 2022), Guide d’accueil et d’inclusion des élèves autochtones (RCAAQ, 2022), et PESLAU — Formation des formateurs sur les questions de décolonisation (en cours). Enfin, Patricia-Anne a mis en avant la nouvelle série Laissez-nous raconter (Kim O’Bomsawin, 2022), qui explore les histoires et les expériences des Premiers Peuples au Québec.

Après avoir discuté des ressources numériques et des pratiques inspirantes, le voyage s’est terminé au Nord. Patricia-Anne a alors ajouté les mots dans le cercle pour décrire les sections colorées et a conclu l’atelier en rappelant que celui-ci se voulait un premier pas vers la sensibilisation aux réalités des Premiers Peuples. Notons que les significations des directions dans la représentation cardinale de la roue sont propres à chaque nation. Les quatre dimensions (intellectuelle, physique, émotionnelle et spirituelle) demeurent toutefois les mêmes, bien que leur position dans la roue et leur signification varient considérablement (Blanchet, 2023). Une personne a exprimé l’espoir que la saison prochaine, il serait possible de proposer un atelier « main sur les touches » où les personnes participantes pourraient travailler sur des mises en situation en équipe afin de collaborer à la décolonisation de certaines pratiques dans leurs établissements.

L’oeuvre utilisée lors de la promotion de l’atelier et dans cet article vient de de l’artiste abénakise-Wendat Christine Sioui Wawanoloath nommée Transmission: de l’importance de bien apprendre à voler, créée sur mesure pour la Faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke.