Chronique d’atelier : coulisses d’un cours transdisciplinaire sur l’IA au Cégep de Saint-Laurent 

Outiller les personnes étudiantes pour développer une compétence transversale numérique face à l’intelligence artificielle (IA) dans l’enseignement supérieur représente un défi ambitieux, comme en témoigne le projet transdisciplinaire mis en place au cégep de Saint-Laurent. Trois enseignants, Fanny Joussemet en sociologie, Michel Jean en philosophie, et Pier-Marc Gosselin en génie électrique, ont collaboré pour élaborer un cours complémentaire unique sur l’IA. Ils nous ont partagé avec une grande générosité les enjeux inhérents à la mise en place d’un tel projet. 

Répondre à l’appel 

Le projet est né en réponse à un appel du pôle montréalais en IA, visant à développer des cours ou des outils pour appréhender l’IA. Cet appel a réuni plusieurs personnes, qui s’intéressaient préalablement à l’IA et l’abordaient dans leur enseignement, dont nos trois présentateurs, mais aussi un professeur de l’Université de Montréal, ce qui en a fait un projet interordre. Deux constats se sont rapidement imposés comme devant être adressés : d’une part, une mauvaise compréhension de ce qu’était l’IA chez les personnes étudiantes, et d’autre part l’absence d’un enseignement permettant une vision globale de l’IA et des enjeux qui y sont liés.  

Le projet a donc pris la forme d’un cours complémentaire transdisciplinaire. Celui-ci impliquait d’emblée une difficulté à chaque niveau : l’IA était un sujet encore nouveau et moins mobilisateur avant l’arrivée de ChatGPT ; un cours complémentaire peut impliquer une compétition entre les différents acteurs et actrices ; et la formule transdisciplinaire venait avec le risque de fragmenter les savoirs, d’autant plus que la structure collégiale ne favorise pas ce genre d’activité. L’équipe a également eu à jongler avec de nombreux questionnements d’ordre pratique et pédagogique, pour lesquels Carole Lavallée, à l’époque directrice des études du cégep de Saint-Laurent, qui chapeautait le projet, les a encouragés à aller systématiquement de l’avant : « faites, et on trouvera des solutions plus tard ».  

Un cours adressé à tous, conçu à l’envers 

Pour aller de l’avant, le cours a été conçu selon deux logiques : de l’ensemble vers les détails, et de l’évaluation vers le contenu. L’objectif du cours était clair : développer une compréhension globale de l’IA chez les personnes étudiantes dans le cadre d’un apprentissage actif, en misant sur la pertinence dans le quotidien des personnes étudiantes. Surtout, le contenu a été pensé pour permettre une évaluation particulière sous forme de simulation afin de favoriser la mise en pratique. L’évaluation a donc précédé et dirigé la conception du cours dans une forme de rétroconception, ce qui a nécessité de bonnes connaissances pédagogiques.  

Par ailleurs, ce cours n’était pas conçu pour s’intégrer à un programme en particulier, mais devait pouvoir s’intégrer à n’importe quel programme de cégep. Cela impliquait un cours adapté à l’hétérogénéité des connaissances des personnes étudiantes, de même que leurs attentes et intérêts.  

L’hétérogénéité se retrouvait également du côté des enseignants, qui provenaient de 3 disciplines différentes. Afin de favoriser la fluidité et la compréhension des différents contenus, tous trois ont pris le temps de se présenter mutuellement leur cour. Cela a été un élément essentiel de synergie entre les approches et les contenus des uns et des autres.  

Les défis d’une constante adaptation 

Porter un cours dans un domaine si changeant que l’IA est venu avec son lot d’ajustements. La COVID-19 a d’abord retardé la mise en place du cours, car il était important que certaines parties puissent se donner en présentiel. L’arrivée de l’IA grand public, avec des outils comme ChatGPT a également impliqué que le cours et l’équipe doivent s’adapter. Celui-ci a donc évolué au fil des éditions, avec des ajustements continus pour répondre aux besoins changeants des personnes étudiantes.  

De plus, alors qu’aux débuts du cours, le faible nombre de ressources en français sur l’IA constituait un enjeu, le nombre, la qualité et le niveau scientifique de telles ressources ont beaucoup évolué, ce que le cours reflète constamment. 

Ceci étant dit, le cœur du cours lui n’a pas dû être revu. L’évaluation s’est révélée jusqu’à présent « ChatGPT-proof » de par sa forme. Par ailleurs un cours sur l’IA impliquant plusieurs problématiques, par exemple de confidentialité, le choix a été fait de ne pas rendre obligatoire l’utilisation de tel ou tel outil par rapport à un autre. Ces choix de fond ont permis une grande adaptabilité face à l’évolution constante du contexte technologique.  

Réception du cours 

Étant donnée la grande variété de supports, de contenus et d’interlocuteurs et interlocutrices dans le cadre de ce cours, l’équipe a développé des solutions pratiques pour faciliter l’accès aux ressources, réunies dans un Padlet (accessible à tous). Malgré tout, les personnes étudiantes ont été nombreuses à souligner la charge de travail élevée et à vivre une certaine confusion devant la formule inhabituelle. 

Toutefois, l’équipe enseignante s’est montrée présente et très active auprès d’eux. De plus, les résultats sont là : il n’y a pas eu de taux d’échec inattendu, et les réflexions des personnes étudiantes lors de l’évaluation orale ont été étonnantes de pertinence, ancrées dans leurs préoccupations, soulignant l’impact positif du cours. Somme toute, devant l’immense défi pédagogique que représente un cours de ce type, les résultats et la réception du cours sont vraiment encourageants ! 

Conclusion : le grand défi de la transférabilité 

Le projet transdisciplinaire sur l’IA au cégep de Saint-Laurent représente une initiative innovante et ambitieuse. Dans ce contexte, le prochain défi est sa transférabilité. Le cours, ainsi que tous les outils pour le mener sont disponibles à tous, le contenu constitue une REL (partagé en licence Creative Commons). Mais la capacité à articuler un cours transdisciplinaire entre plusieurs personnes enseignantes peut nécessiter du temps et de l’adaptation, ainsi que de bonnes compétences pédagogiques. La question de la transférabilité est donc le prochain défi que devra affronter ce projet. C’est aussi là que le rôle des conseillères et conseillers pédagogiques sera particulièrement pertinent ! 

En dévoilant les coulisses de la création de ce cours, l’équipe du cégep de Saint-Laurent a partagé un projet incroyablement enthousiasmant ! Ils ont réussi à créer des bases fortes, et un matériel exceptionnel pour d’autres personnes enseignantes qui souhaiteraient se lancer dans l’aventure, mais aussi pour poser des balises pour les CP qui souhaiteraient accompagner des équipes enseignantes dans ce défi. Ils ont ouvert la voie pour un cours qui repousse les limites des disciplines et de l’organisation classique dans le but d’offrir une réflexion d’une grande qualité et d’une immense pertinence aux personnes étudiantes. 

Pour plus de détails, vous pouvez consulter la version complète de la présentation qui a été donnée à l’AQPC en juin 2023.  

L’ensemble du cours complémentaire est disponible sur Moodle.