Le (dés)engagement professionnel chez les personnes conseillères pédagogiques

Par Julie Couture, d’après l’atelier de Julie Beaupré et Marie-Claude Cyr sur le (Dés)engagement professionnel.

Souvent, en présentant mon travail, je dis que je change de métier tous les 6 mois.

Ce propos résonne sans doute chez bon nombre de personnes conseillères pédagogiques. Un jour passionnées par un projet d’accompagnement innovant, le lendemain débordées par des tâches administratives qui les éloignent de leur mission première. Cette oscillation constante entre engagement et désengagement fait partie intégrante de la réalité professionnelle des personnes conseillères pédagogiques. 

C’est précisément cette dynamique complexe qu’ont explorée Julie Beaupré, chargée de projets pédagonumériques à l’UQAM, et Marie-Claude Cyr, conseillère pédagogique au Cégep Marie-Victorin. Lors de la Pédagopause du 9 avril 2025 organisée par i-mersion CP, leur atelier intitulé Le (dés)engagement professionnel a permis à 39 personnes conseillères pédagogiques d’échanger sur ce sujet délicat, mais bien réel.

Leur approche ? Partir du vécu authentique des professionnels pour mieux comprendre ces fluctuations et développer des stratégies concrètes de résilience. 

La réalité contrastée du conseil pédagogique

L’exercice proposé d’emblée par les deux animatrices était révélateur : identifier ce qui nous donne des ailes mais aussi ce qui nous désorganise. Pour Julie, l’alignement, le sens, l’espace de réflexion et les réseaux professionnels constituent ses sources d’énergie. À l’inverse, la vision confuse, les cadres rigides et l’isolement professionnel sapent sa motivation.

Marie-Claude partage des points similaires tout en apportant sa perspective : la cohérence dans les actions, la collaboration authentique et l’apprentissage continu la nourrissent, tandis que la lenteur des processus institutionnels, le travail en silos et le manque d’humilité dans les relations professionnelles créent chez elle des tensions.

Ces témoignages personnels révèlent une vérité plus large : les déséquilibres professionnels ne sont pas des faiblesses individuelles, mais des signaux qui méritent d’être écoutés et analysés.

Les 11 déséquilibres de la profession

S’appuyant sur les travaux de recherche de Félix Arguin (en cours)  les animatrices ont présenté les déséquilibres systémiques que peuvent vivre les personnes conseillères pédagogiques. Cette grille d’analyse éclaire sous un jour nouveau leurs difficultés quotidiennes.

Ainsi, à tour de rôle, chacune a proposé une définition accompagnée d’exemples pour ces sources de tension: le retrait arbitraire, le corporatisme, l’ingérence, l’instrumentalisation professionnelle, la standardisation rigide, la surcharge administrative, la subordination pédagogique, la dépréciation professionnelle, l’écart éthique, le débordement de rôle et la distorsion statistique.

Renforcer son pouvoir d'agir

Force est de constater que les personnes participantes à l’atelier se reconnaissent dans une ou plusieurs de ces 11 situations professionnelles. Comment nourrir son engagement professionnel ou remonter une pente? La démarche proposée s’articule autour de deux axes complémentaires : la connaissance de soi et l’exercice de son agentivité.

Se connaître comme professionnel

Avant de pouvoir agir sur notre environnement, il est essentiel de clarifier qui nous sommes. Cela passe par l’identification de nos valeurs fondamentales et de nos contre-valeurs, ainsi que la reconnaissance de nos sources de tension de même que la gestion de l’émotion et des besoins sous-jacents.

Les exploratrices suggèrent d’explorer notre personnalité professionnelle à l’aide d’outils comme le MBTI-16 et les 24 forces de caractère, des lectures tel que Les rois du silence ou Je suis comme je suis). Notre introspection ne doit pas rester solitaire. Elle trouve sa richesse dans le partage avec des collègues de confiance, la participation à des groupes de co-développement, ou encore l’échange lors de rencontres comme les Pédagopauses.

Exercer son agentivité

L’agentivité, c’est notre capacité à exercer un pouvoir d’action sur trois niveaux distincts. Au niveau cognitif, nous pouvons travailler sur nos valeurs, nos croyances, nos pensées et nos attentes. Au niveau comportemental, nous avons prise sur nos actions, nos choix et nos prises de position. Enfin, au niveau environnemental, nous pouvons influencer les normes sociales, les politiques et les cadres de travail.

Cette approche systémique nous rappelle que même dans des contextes contraignants, des marges de manœuvre existent, à condition de les identifier et de les investir consciemment.

Un répertoire de stratégies éprouvées

L’une des richesses de cet atelier résidait dans le partage d’expériences entre participants. De cette mise en commun a émergé un véritable répertoire de stratégies de résilience professionnelle.

Certaines relèvent de la gestion relationnelle : faire l’état de nos relations positives au travail, chercher du mentorat, organiser des rencontres entre conseillers pédagogiques pour partager nos réalités spécifiques. D’autres touchent à la communication institutionnelle : exprimer clairement nos vécus aux gestionnaires en proposant des pistes de solution, demander des clarifications sur nos rôles, établir et diffuser des définitions claires de nos responsabilités.

Plusieurs stratégies visent le maintien de l’équilibre personnel : tenir un carnet de bons coups individuels et d’équipe, prendre des pauses actives (marche, musique, activités créatives), nourrir son état de flow avec des tâches motivantes, même en période de surcharge.

Enfin, certaines approches relèvent de la réappropriation professionnelle : prendre des initiatives qui font sens même si elles ne figurent pas dans nos tâches officielles, redéfinir ce que nous considérons comme un livrable accompli, ou encore avoir le courage de quitter des situations qui ne correspondent plus à nos valeurs.

Vous trouverez ci-dessous un tableau récapitulatif des stratégies de bien-être professionnel, élaboré à partir des partages d’expérience des participants. Cliquez sur chacun des onglets pour découvrir les stratégies propres à chaque catégorie.

Stratégies de bien-être professionnel

Répertoire des stratégies de bien-être professionnel élaboré à partir du partage d'expérience

🌱

Stratégies individuelles de ressourcement et de bien-être personnel

Prendre soin de moi ♥ ♥
Lâcher prise
Prendre du recul
Manger des bonbons
Prendre un verre de vin ♥ ♥
Me défouler dans le sport
Participer à une chorale
Faire du crochet
M'amuser
Réserver du temps pour ma créativité
Fermer les notifications en dehors des heures de travail
Garder du temps pour décrocher à l'extérieur du travail
Avoir des activités qui engagent mes forces et me donnent de l'énergie (même dans un agenda surchargé)
Nourrir mon état de flow en faisant une tâche créative qui me motive
Trouver du temps pour des tâches que j'aime
Avoir toujours en parallèle un projet « respiration » qui touche à mes intérêts principaux et à mes compétences
🤝

Soutien social et échanges professionnels

M'appuyer sur le soutien des collègues que j'estime et en qui j'ai confiance ♥ ♥ ♥ ♥
Discuter avec des collègues CP d'autres départements quand je me sens seul dans mon équipe ♥ ♥
Jaser avec les collègues du réseau ♥ ♥
Parler à mon mentor
Participer à un groupe de co-développement
Prendre des pauses actives avec mes collègues
Échanger lors des pédagopauses
Communiquer et échanger sur mes perceptions avec mes collègues et mon gestionnaire
Participer à des colloques
Envoyer des reels sarcastiques aux collègues
Faire des memes et les envoyer à mon équipe

Organisation du travail et efficacité

Choisir mes batailles
Prioriser
Prioriser une vision sur l'objectif
Réagir rapidement, ne pas laisser trainer une situation
Réserver des périodes de travail profond ♥ ♥ ♥ ♥
Répartir les tâches et les dossiers dans l'équipe en fonction des forces et des intérêts de chaque membre
Définir les rôles et responsabilités
Établir les rôles de chacun et diffuser l'information
Lire, chercher, me former
Utiliser une grille d'analyse éthique
Analyser certaines situations avec la grille de compétence conjuguée
Justifier mes actions à l'aide de la recherche pour gagner de la reconnaissance professionnelle
Prendre des initiatives qui me semblent faire du sens, même si ce n'est pas nécessairement dans mes tâches assignées
Faire un recadrage de mon travail en revoyant ce que je considère comme un livrable, un travail terminé
Me rappeler ce qui a bien fonctionné et m'en inspirer

Reconnaissance, valorisation et développement professionnel

Me connaître
Connaître ma valeur
Mettre et respecter mes limites
Trouver ce qui m'allume et me motive ♥ ♥
Me rappeler que je me sens mieux dans mon rôle actuel que mon rôle précédent
Rire de mes vieux malheurs ♥ ♥
Faire l'état de mes relations positives au travail (collègues, enseignants, etc.)
Concevoir des outils d'auto-évaluation
Célébrer mes bons coups
Prendre un moment de réflexion pour mettre en lumière mes bons coups pédagogiques
🎯

Encadrement, gestion et clarification du rôle

Avoir un cadre clair
Définir les rôles et responsabilités de chacun et diffuser l'information
Demander des clarifications à mon gestionnaire
Mieux me faire connaitre et faire connaître mes besoins
Exprimer ce que je vis aux gestionnaires et proposer des pistes de solutions
Nommer à ma gestionnaire que je me sens en surcharge de travail et que je n'ai plus d'espace pour réfléchir
Aborder les défis avec mon gestionnaire
Recourir au PAE
Ne pas accepter le mot « urgence » ailleurs que dans un hôpital
Avoir le courage de quitter lorsque cela ne correspond plus à nos besoins et valeurs

En fin de compte, naviguer entre engagement et désengagement fait partie intégrante de notre parcours professionnel. L’important n’est pas d’éviter ces fluctuations, mais d’apprendre à les lire, à les comprendre et à y répondre avec lucidité et bienveillance envers nous-mêmes. Car c’est peut-être dans cette capacité d’adaptation que réside notre plus grande force en tant que conseillers pédagogiques : accompagner le changement chez les autres en acceptant d’abord nos propres transformations.

Cet article a été écrit suite de l’activité « Le (dés)engagement professionnel » animé par Julie Beaupré (UQAM) et Marie-Claude Cyr (Cégep Marie-Victorin) dans le cadre des Pédagopauses d’i-mersion CP, le 9 avril 2025.

Ressources mentionnées

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