*** Chronique rédigée par Alexandre Enkerli concernant l’atelier de Marine Antille, Marc Laperrouza (Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne, EPFL) et Emmanuel Sylvestre du l’Université de Lausanne, intitulé Les principes du Design Pédagogique : intégration et soutien pratique ***
L’alignement pédagogique, au cœur de nos tâches de CP, peut tirer profit d’une démarche de pensée design. Un atelier du RVCP 2024 a permis de placer une approche orientée vers le design dans des considérations communes aux membres de notre vaste réseau.
La tenue du colloque de l’AIPU à Sherbrooke au cours de la même semaine a permis à des pédagogues d’Europe de participer aux activités du RVCP 2024. Trois de ces personnes ont facilité l’atelier « Les principes du Design Pédagogique : intégration et soutien pratique ».
Cet atelier était facilité par deux des trois co-auteurs de l’ouvrage Design pédagogique: Jacques Lanarès, de l’École polytechnique fédérale de Lausanne et Emmanuel Sylvestre, de l’Université de Lausanne. Accompagnés de Marine Antille (de l’Université de Lausanne), ces collaborateurs ont orienté l’atelier sur la production, la publication et l’usage de leur outil pratique.
Un outil de design pédagogique
L’outil, disponible en libre accès (licence CC BY-NC-ND), est conçu de façon à décroître la linéarité entre trois moments menant au développement ou à la refonte d’un cours: conception, vision, évolution. Avant de développer un nouveau cours ou transformer un cours existant, il est essentiel de saisir l’ensemble des objectifs, ressources et contraintes qui encadrent notre travail.
Sous l’inspiration du Lausannois Alexandre Osterwalder, auteur d’une matrice d’affaires bien connue, le guide de Lanarès, Sylvestre et Laperrouza articule la « cohérence pédagogique » selon un canevas permettant de matérialiser de nombreux éléments du développement pédagogique. Selon l’expérience de l’équipe lausannoise, le fait d’organiser de multiples composantes sur un support visuel mène à une communication approfondie entre des spécialistes en pédagogie et des personnes qui se préparent à enseigner des cours. Un peu comme un guide d’entretien ou un jeu de cartes, un tel canevas permet de structurer des interactions professionnelles.
Tentative d’application
Comme tout bon atelier qui se respecte, celui de Marine, Jacques et Emmanuel comportait un exercice pratique autour des modèles exposés. Le groupe d’une trentaine de personnes a été divisé en binômes ou trinômes auxquels incombait la tâche d’analyser un canevas commun selon l’angle d’une de deux contraintes. Dans un cas, la personne qui enseignait le cours décrit dans le canevas devait s’absenter pendant quatre semaines au cours du semestre. Dans l’autre cas, ce même cours prévu pour 25 personnes attire trois fois plus d’inscriptions.
Au bout de quelques minutes de travail en petit groupe, le retour en plénière fut l’occasion d’un partage touchant à la fois les cas proposés et le fondement de la démarche. Les ajustements proposés lors de la mise en commun touchaient à des pratiques connues d’un auditoire de CP : réalisations vidéo, évaluation par les pairs, travail asynchrone, embauche d’une ressource supplémentaire, etc.
Au cours du partage, certaines interventions ont permis d’ouvrir une discussion intercontinentale sur des enjeux différentiels des CP œuvrant dans des milieux distincts. Ces réactions, provenant de quelques membres du réseau québécois de l’enseignement supérieur, témoignait d’un certain malaise à l’égard du rôle des CP dans de tels contextes. La discussion qui s’est ensuivie a révélé des attitudes diverses au sujet de notre identité professionnelle.
Des démarches classiques à la pensée design
Suite à cette interaction tendue, une analyse critique de l’outil de design pédagogique s’est concentrée sur les éléments des situations d’apprentissage et d’évaluation (SAÉ) qui semblaient manquer au canevas proposé. Pourquoi utiliser un tel outil lorsque nous disposons d’approches bien plus approfondies? En réponse, Jacques a décrit son expérience en tant qu’enseignant n’ayant pas développé formellement les compétences spécialisées de la pédagogie. Il a donc pu observer, en contexte pratique, l’utilité pratique de ce canevas (et de l’outil de design pédagogique dans son ensemble) en communication avec des collègues en enseignement. Si la mise en œuvre d’une SAÉ met à profit de nombreux principes pédagogiques, un outil visuel favorise un travail collaboratif qui rappelle la pensée design (“Design Thinking”).
La démarche proposée par l’équipe lausannoise rappelle à s’y méprendre des modèles classiques de la conception pédagogique telle qu’enseignée par et à des collègues de notre réseau. Pourtant, quelques nuances peuvent ouvrir notre pratique professionnelle sur des stratégies utilisées dans d’autres domaines.
La conception d’expériences d’apprentissage (CEA ou LXD pour “Learning Experience Design”) peut faire appel à bien des méthodes utilisées en ingénierie pédagogique. Dans un travail pour le cours « Approche systémique et analyse des besoins » de Nadia Naffi, Geneviève Raîche-Savoie a réalisé une vidéo qui cerne bien ce chevauchement tout en révélant l’importance de certaines distinctions nuancées. Par exemple, la notion d’empathie qui est au cœur de l’approche n’est pas étrangère aux méthodes traditionnelles qui débutent par l’analyse des besoins. Détail important, des pratiques concrètes inscrivent l’empathie à plusieurs étapes de la démarche LXD.
De plus, une boucle de rétroaction de courte durée n’est pas si distincte des méthodes qui consistent à évaluer un projet en fin de parcours. Pourtant, l’impact est profond lorsqu’il est combiné à une intervention directe de membres du milieu à toutes les étapes du projet et qu’il révèle une compréhension fine des personnes impliquées.
Une démarche dialogique?
Certaines tensions subsistent, dans notre milieu professionnel. En confrontant modèles et pratiques, pouvons-nous établir une vaste conversation pour subvenir aux besoins de la population étudiante en venant en aide au corps enseignant? Comme le veut l’un des premiers principes de la pensée design, on veut à la fois bien faire les choses et faire les bonnes choses (“doing things right” et “doing the right things”).