Dans le cadre de la conseillance pédagogique, les personnes professionnelles peuvent être confrontées des situations délicates, en particulier lorsque les personnes rencontrées sont peu motivées ou même « voluntold », comme on dit en anglais. Dans ces situations, les personnes conseillères pédagogiques (CP) doivent naviguer entre les volontés de la direction et celle des personnes enseignantes.

Judith Cantin, directrice du Bureau d’appui et d’innovation pédagogique à Polytechnique Montréal, a présenté quelques repères pour mieux comprendre les demandes de consultation et réussir une intervention.

Premier repère — la demande

Judith explique qu’il peut y avoir deux types de demandes : une demande explicite centrée sur le contenu formel, ou une demande implicite centrée sur les enjeux cachés du demandeur. Avant d’aller plus loin, le CP doit se demander :

  1. Quelles sont les attentes de la personne qui consulte ?
  2. Quels sont les buts visés ?
  3. Quelles sont les solutions tentées jusqu’à maintenant pour résoudre le problème ?
  4. Quelles sont les retombées attendues ?

Posées dans un contexte d’écoute active, ces questions permettent de documenter le contexte en ayant un aperçu de l’histoire du problème, de la suite des événements et de l’organisation. Le CP peut alors reformuler pour préciser le mandat donné avant de donner son accord ou non.

Deuxième repère — le demandeur

Mais qu’en est-il du demandeur ? Qui est-il ? Comment a-t-il pris la décision de venir consulter le CP ? Vient-il de son plein gré ?

Parfois, derrière une demande se cache une autre personne. Ainsi, le demandeur ne consulte que pour obéir à une consigne ou le souhait de cette dite personne. Il devient alors un demandeur suspect.

Judith énumère trois profils types :

  1. Demandeur souriant qui, poliment, refuse l’aide du CP malgré les problèmes vécus. La consultation n’est pas nécessaire d’après lui;
  2. Demandeur en colère qui est hostile à l’égard du CP, car son aide est inutile. Il n’a rien à apprendre de lui!
  3. Demandeur gémissant ou plaintif qui n’a pas le temps et qui est débordé par ses charges familiales, personnelles ou professionnelles. Il n’est pas disponible pour recevoir de l’aide du CP, mais il n’en a pas non plus besoin.

Pour y remédier, Judith propose de retourner vers le référent de qui part la demande, d’inviter cette personne à la première rencontre afin d’identifier l’origine de la demande et son contenu formel. S’il est absent, il pourrait être pertinent de questionner la relation entre le demandeur et le référent afin d’identifier les motifs du référent. L’intérêt est d’évaluer le niveau d’engagement du demandeur. À ce propos, il existe une ressource à i-mersion CP concernant le parrain ou la marraine du projet qu’il semble pertinent de consulter (voir synthèse de l’atelier sur la gestion de projet).

Il est donc essentiel de répondre à ces questions avant de poursuivre :

Troisième repère — le rapport

Une fois que le demandeur et ses besoins ont été identifiés, il est essentiel d’établir une relation équilibrée entre le CP et le demandeur. Pour cela, Judith nous invite à revoir notre position en proposant une approche basse qui reconnaît la compétence du demandeur à choisir ce qui est utile pour lui.

Dans ce contexte, X pourrait choisir de prendre la position basse en disant « je ne sais pas si je peux vous être utile. Vous êtes le meilleur juge dans la situation. Je peux vous dire ce que je fais, vous pourrez juger de la pertinence de mon aide dans votre situation ». En procédant de la sorte, il définit Y comme compétent et en mesure de choisir pour lui-même ce qui est utile ou non pour lui.

Cantin, J. (2023) diapositive 32

En adoptant cette approche, le CP laisse le demandeur définir les rôles et évite les escalades symétriques et les ruptures, ce qui favorise la collaboration. Judith propose également de laisser du temps au demandeur en prétextant ne pas être disponible, afin de lui permettre de décanter.

Quatrième repère — le triangle de Karpman

En cas d’impasse, il est important de visualiser le triangle de Karpman (1968). Le CP peut se retrouver dans le rôle de sauveur, prenant sur lui la résolution du problème et risquant de devenir le bouc émissaire. Pour sortir de cette situation, il est essentiel de responsabiliser la victime en lui posant des questions qui l’encouragent à réfléchir à ses propres solutions. Ces interventions-questions permettent de mettre en évidence les différentes opinions ou perceptions et d’identifier des terrains d’entente possibles ou des concessions.

Tiré de la diapositive 39

Quelques questions peuvent aider :

Cinquième repère — les étapes de la consultation

Judith encourage le CP à s’interroger sur les conditions de travail, leur rôle et leur mandat. Elle propose d’utiliser un carnet pour noter les observations afin de mieux cerner les limites de leurs interventions lors de la prochaine consultation. Elle adapte les quatre étapes de la thérapie de Carl Whitaker pour les appliquer à la pratique du CP :

  1. La bataille pour la structure : Le CP doit définir le contexte administratif et les règles de fonctionnement. Il est essentiel de préciser les conditions de base nécessaires pour réaliser son travail de manière efficace, de déterminer qui sont les personnes concernées et de définir leurs rôles. Ces conditions doivent être entérinées par une autorité reconnue.
  2. La bataille pour l’initiative : Le CP doit responsabiliser le demandeur en refusant de prendre la charge de la transformation souhaitée. Le CP doit soutenir la transformation, mais l’initiative doit venir du demandeur. Le succès dépend de son engagement dans le projet.
  3. L‘épreuve du travail : Trois caractéristiques sont déterminantes dans l’alliance thérapeutique : l’entente sur les objectifs, l’entente sur les moyens pour les atteindre et la relation positive entre le demandeur et le CP, incluant la confiance mutuelle, le respect et la bienveillance.
  4. La fin de la thérapie : Le CP doit se retirer progressivement, en espaçant les rencontres. Il est important de ne pas cultiver la dépendance au CP et d’encourager l’autonomie du demandeur.

En résumé — les stratégies gagnantes ou perdantes

Stratégies perdantesStratégies gagnantes
S’imposerÊtre patient
Se faire valoirÊtre compétent
Ne pas reconnaitre l’autreReconnaitre la contribution et la valeur de l’autre
Ne pas reconnaitre nos limitesReconnaitre ses limites
Prendre trop de placeSe montrer intéresser par l’autre

En conclusion, c’est le demandeur qui « actualise le processus de changement ». Le succès est déterminé par le fait qu’il se l’approprie, qu’il l’utilise et qu’il suive les recommandations convenues. Autrement, rien ne change !