Intégrer l'éducation citoyenne dans les programmes d'études : pourquoi, quand et comment ?

Par Julie Couture, d’après l’atelier de Jérémie Cormier-Tremblay, conseiller pédagogique au Cégep de Sainte-Foy, présenté le 25 mars 2025. 

Cet article fait suite à l’atelier « Intégrer l’éducation citoyenne dans les programmes d’études : pourquoi, quand et comment« , présenté par Jérémie Cormier Tremblay, conseiller pédagogique au Cégep de Sainte-Foy, dans le cadre des activités d’i-mersion CP en mars 2025. 

Quand la baguette magique n'existe pas : accompagner le changement avec réalisme

En tant que conseiller pédagogique, qui n’a jamais ressenti cette pression entre les nombreuses exigences ministérielles et le quotidien déjà chargé des enseignants ? L’intégration de l’éducation citoyenne dans les programmes ne fait pas exception, amplifiant parfois cette tension. « Nous n’avons pas le temps », « Ce n’est pas notre rôle », « C’est déjà un défi de couvrir toute la matière »… Ces préoccupations vous semblent sans doute familières. 

Jérémie Cormier-Tremblay, conseiller pédagogique au Cégep de Sainte-Foy depuis sept ans, aborde cette réalité avec franchise : « Ce n’est pas une baguette magique que je viens vous offrir aujourd’hui. Une recette toute faite, c’est inexistant en éducation. Il faut constamment s’adapter à notre contexte, à notre personnalité, mais aussi aux gens avec qui on interagit. » 

Cette perspective réaliste et bienveillante a donné le ton à son atelier sur l’intégration de l’éducation citoyenne dans les programmes d’études. À travers son expérience concrète, Jérémie propose une approche qui mise sur les petits pas, le sens partagé et l’adhésion progressive plutôt que sur une révolution immédiate. 

Démystifier l'éducation citoyenne : de quoi parle-t-on vraiment ?

L’éducation citoyenne demeure souvent un concept flou, parfois relégué au second plan derrière les compétences disciplinaires. Pourtant, elle constitue l’une des trois visées fondamentales de la formation collégiale : « Former l’élève à vivre en société de façon responsable ». 

Lors de l’atelier, les participants ont évoqué diverses conceptions : « Se former comme personne dans son intégrité en lien avec la société dans laquelle on évolue », « L’ensemble des compétences à mobiliser dans la vie quotidienne, au-delà d’une profession », « Apprendre à vivre en société avec ce que ça implique comme habiletés de communication et responsabilités ». 

Pour structurer cette vision commune, Jérémie propose de considérer quatre grands domaines de l’éducation citoyenne, inspirés du réseau Educanet : 

  1. Les médias et l’information (compétences informationnelles) 
  2. La santé (individuelle et collective) 
  3. L’écologie et l’environnement 
  4. La démocratie et le sens communautaire 

Ce qui est particulièrement éclairant dans l’approche de Jérémie, c’est sa distinction entre différentes modalités d’éducation citoyenne, une réflexion qui s’inspire notamment des pratiques en éducation relative à l’environnement.  

Cette distinction ouvre des perspectives pour les conseillers pédagogiques : l’éducation citoyenne n’est pas seulement une question de contenus à ajouter, mais peut s’incarner dans les méthodes pédagogiques elles-mêmes. 

Pourquoi s'en préoccuper ? Entre mandat institutionnel et valeurs personnelles

La motivation pour intégrer l’éducation citoyenne varie selon les contextes. Comme l’a mentionné une participante : « C’est pour répondre à un plan d’action pour un programme, mais aussi pour mieux intégrer la formation générale dans nos programmes d’études, pour mieux adhérer à l’approche programme. » 

D’autres évoquent des motivations plus personnelles : « Moi j’y crois vraiment sincèrement que si on veut une démocratie saine, il faut l’enseigner à nos jeunes. Le collégial est un bon moment pour le faire. » 

Jérémie rappelle que ces motivations, qu’elles soient institutionnelles ou personnelles, sont légitimes et s’ancrent dans le mandat même des établissements d’enseignement supérieur. Il cite le devis ministériel qui mentionne explicitement la responsabilité de « développer l’étudiant pour qu’il soit capable d’exercer son rôle de citoyen éclairé et responsable ainsi qu’en adoptant des attitudes et des comportements souhaitables. » 

L’un des messages forts de l’atelier est que l’inaction n’est pas synonyme d’objectivité : « L’inaction, c’est une prise de position envers le statu quo. » Jérémie souligne qu’il ne s’agit pas d’imposer son point de vue, mais d’oser aborder ces questions avec les équipes enseignantes. 

Quand et comment intervenir ? L'art du moment opportun

L’une des forces de la présentation de Jérémie réside dans son pragmatisme. Il propose des pistes concrètes sur les moments propices pour introduire l’éducation citoyenne : 

N'importe quel projet est un prétexte valable pour aborder l'éducation citoyenne avec une équipe.

Parmi les occasions à saisir : 

  • Les révisions de programme : Bien que ce soit un moment où tout est remis en question, Jérémie nuance : « C’est un gros chantier. La mémoire de travail des professeurs est déjà surchargée. Si l’éducation citoyenne n’était pas déjà présente, ça ne sera pas ce qui prendra le devant. » 
  • Les projets individuels : Un professeur qui développe un nouveau cours, une nouvelle grille d’évaluation, un projet d’innovation pédagogique. « Ça nous donne un angle pour mettre en évidence les liens entre leur projet et l’éducation citoyenne, leur faire réaliser qu’ils en font déjà. Ce n’est pas un surplus, c’est un angle d’approche. » 

Cette dernière idée semble particulièrement résonner auprès des participants : l’éducation citoyenne comme angle d’approche plutôt que comme contenu supplémentaire. 

La stratégie des petits pas : construire l'adhésion progressivement

Comment procéder concrètement ? Jérémie propose une approche en plusieurs étapes : 

  1. Connaître son public : S’intéresser à ce qui parle aux enseignants, à leurs valeurs, aux finalités de leur programme 
  2. Trouver des liens entre leurs projets et l’éducation citoyenne 
  3. S’appuyer sur des documents institutionnels ou ministériels pour légitimer la démarche 
  4. Développer une vision commune à travers des discussions d’équipe 
  5. Pérenniser les acquis par des documents officiels ou des résolutions 

L’exemple qu’il partage à propos d’un programme en administration est particulièrement éclairant. Confronté à des enseignants peu convaincus par la notion de « développement durable » qu’ils associaient uniquement à l’environnement, Jérémie a trouvé un angle différent : 

J'ai réfléchi à ce qui était important pour eux en administration : les jobs, les compagnies, l'économie, les finances. J'ai eu un déclic : l'entrepreneuriat ! Dans notre Cégep, nous avons un cadre de référence sur l'entrepreneuriat responsable qui intègre les piliers sociaux et environnementaux. Je suis revenu vers l'équipe, je ne leur ai plus parlé de développement durable mais d'entrepreneuriat responsable. Là, c'était intéressant pour eux, ça faisait sens, c'était important.

Cette anecdote illustre parfaitement la nécessité d’adapter le discours aux préoccupations des enseignants plutôt que d’imposer une vision préconçue. 

Des alliés précieux : la force de la relation pédagogique

Un aspect essentiel de l’approche de Jérémie concerne les relations à cultiver. Il souligne l’importance de travailler d’abord avec un petit groupe de professeurs intéressés qui pourront ensuite devenir des « agents multiplicateurs ». 

Les professeurs de formation générale sont souvent des alliés naturels sur ces questions. Jérémie raconte comment, lors des activités de profil de sortie, ses collègues et lui veillent à inviter les professeurs de formation générale pour qu’ils apportent des regards complémentaires.  

« La relation qu’un conseiller pédagogique entretient avec un professeur ou une équipe est un outil, un levier. En développant cette relation de confiance, les gens deviennent plus ouverts, ce qui facilite notre travail. » 

Entre enthousiasme et réalisme : le défi de l'engagement étudiant

Un défi émergent a été soulevé par les participants : comment réconcilier l’éducation citoyenne avec le désengagement croissant observé chez certains étudiants ? 

On observe de plus en plus d'absentéisme, les étudiants semblent moins engagés. Les profs de formation générale nous disent que les dissertations formatives, les étudiants ne les font plus parce que ça ne vaut pas de points. Il y a des profs qui trouvent difficile de réconcilier les étudiants qui semblent de plus en plus 'clients' et l'idée d'amener des attitudes dans les programmes.

érémie propose une piste de réflexion intéressante : l’éducation citoyenne, en valorisant l’implication et l’engagement, pourrait justement contribuer à inverser cette tendance. « Quand tu as tendance à être engagé, tu as tendance à être engagé partout. Développer cet aspect peut permettre de développer la présence dans les études. » 

Il suggère de créer des expériences d’apprentissage significatives, où les étudiants peuvent réellement faire une différence dans leur communauté : « Ce sont des activités qui sont différentes, qui vont les chercher. Si on fait une activité qui leur permet d’avoir une retombée dans leur société, c’est le genre de choses dont ils vont se rappeler. » 

Conclusion : des petits pas qui mènent loin

« Vaut mieux un pas solide en avant que trois pas en avant, deux pas en arrière. » Cette philosophie résume bien l’approche proposée par Jérémie pour intégrer l’éducation citoyenne dans les programmes d’études. 

L’éducation citoyenne ne doit pas être perçue comme un fardeau supplémentaire, mais comme une dimension intrinsèque de l’éducation. Elle peut s’incarner dans les méthodes pédagogiques autant que dans les contenus, s’adapter aux contextes et aux valeurs des différentes disciplines. 

Pour nous, conseillers pédagogiques, le défi consiste à trouver les moments opportuns, les angles pertinents et les alliés stratégiques pour faire avancer cette dimension essentielle de la formation. Une approche progressive, respectueuse des réalités du terrain et fondée sur le dialogue semble être la voie à privilégier. 

Comme l’a si bien résumé une participante : « Les petits pas vont loin. Je vois l’accessibilité pour les équipes grâce à votre façon de présenter le tout. » 

Pour approfondir vos connaissances et nourrir votre réflexion, Jérémie recommande quelques pistes de recherche : la gestion du changement, le sentiment d’efficacité collective et le pouvoir d’agir. Il suggère également la lecture de « La situation authentique : une stratégie pédagogique à la portée de tous » de Mélanie Pagé et Anne-Marie Duval. 

DUVAL, Anne-Marie et Mélanie PAGÉ, La situation authentique: de la conception à l’évaluation. Une formule pédagogique pour toutes les disciplines, Collection Les cahiers de l’AQPC, Canada, Juin 2013, 95 pages. 

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