J’ai eu le privilège, grâce à une invitation de nos collègues Amélie Chiasson et Youen Cariou, d’assister à la journée dédiée à l’intelligence artificielle au Cégep Édouard-Montpetit intitulée À la croisée des chemins : technologie, équité et intelligence artificielle. La journée s’est ouverte sur une conférence du professeur Ollivier Dyens dont le titre, Comment créer un monde plus juste, plus humain, plus équitable face à l’immensité technologique ?, a su piquer ma curiosité dès le départ. Pour les plus avisés, vous savez potentiellement que c’est le fondateur et codirecteur du Building 21 à McGill. Si vous ne savez pas encore ce que c’est (comme moi hier!), vite, allez visiter ce site!
De navigateur à explorateur: l’avenir des personnes étudiantes à l’ère de l’intelligence artificielle (IA)
Dans cette conférence d’ouverture, nous avons exploré un large éventail de sujets, entre autres de la façon dont la technologie peut former des « navigateurs et des explorateurs » pour créer un monde plus respectueux de l’environnement et de l’intelligence au sens large (ce que Olliver nomme le « Green land »), à la distinction entre le plaisir de la connaissance et l’évaluation. L’une des idées centrales était de ne pas confondre les moyens avec les fins ; de valoriser le processus. Comme il le mentionne si bien, écrire n’est qu’un moyen d’expression, tandis que l’esprit critique et la créativité sont les véritables fins à poursuivre.
« Notre système de scolarité obligatoire (forcée) est presque parfaitement conçu pour promouvoir la tricherie. C’est encore plus vrai aujourd’hui que par le passé. Les élèves doivent passer beaucoup plus de temps qu’ils ne le souhaitent à faire des travaux qu’ils n’ont pas choisis, qui les ennuient, qui leur semblent sans objet. On leur parle constamment de la valeur des bonnes notes. Les notes sont utilisées comme l’unique motivation. Tout est fait pour les notes! »
Traduction libre de la citation de Peter Gray
Nous avons également plongé dans le concept de l’incertitude, inspiré par les mots de Yuval Noah Harari, nous encourageant à « lâcher prise sur ce que nous connaissons de mieux » pour nous sentir à l’aise avec l’inconnu. Une mise en garde importante a été exprimée concernant la multiplication des théories du complot, bien qu’il y ait peu de preuves que le conspirationnisme est en augmentation. D’ailleurs, Ollivier a parlé à différentes reprises d’un site qu’il affectionne particulièrement : Pessimists Archive.
La première chose est de savoir ce que nous voulons. Nous devons avoir un sens profond de nos valeurs, de ce que nous défendons. Plus la technologie progresse, moins nous sommes sûrs de ce qui nous sommes et de ce que nous défendons en tant qu’espèce et en tant qu’individus. Cette découverte de ce qui est le plus important en nous est donc un énorme défi.
Kevin Kelly (citation tirée du support visuel)
L’une des notions les plus fascinantes abordées durant la conférence était la différence entre l’intelligence humaine et l’IA. Alors que l’IA peut être spécialisée, précise et très efficace, elle reste passive, non générale, désincarnée, sans motivation ni intentions. Cependant, elle excelle dans le traitement de quantités massives de données. L’IA « nous enrichit en nous permettant de voir et de comprendre des patterns qui nous sont impossibles à saisir ». C’est que des milliards de données illisibles qui soudainement prennent du sens pour nous.
Olliver nous a proposé d’explorer comment l’IA peut être utilisée pour faire des découvertes en utilisant la « Literature Based Discovery » pour identifier des associations et des modèles dans de vastes ensembles de données. Il a nommé des exemples concrets, tels qu’Earth 2 pour prédire des bouleversements climatiques, le Google Flood Hub pour anticiper les inondations, et Alpha Fold pour trouver de nouveaux médicaments.
Cependant, il a été souligné que l’IA n’est pas nécessairement capable de trouver des « choses vraies ». Au lieu de cela, elle offre un extraordinaire « autocomplete » qui nous permet de dialoguer avec nous-mêmes et avec la connaissance humaine, créant ainsi une réverbération et une résonance. Pourrait-on alors parler de chambre d’écho? Ollivier explique, avec raison, que le modèle de langage comme ChatGPT prend compte de la conversation en cours pour calculer la probabilité des mots en fonction de celle-ci. Il choisit alors ce mot selon les probabilités. Ce n’est donc pas la recherche de la vérité, mais plutôt de ce qui est plausible.
L’IA ne se limite pas à des tâches pour lesquelles elle a été formée. Effectivement, elle est capable d’accomplir des tâches pour lesquelles elle n’a pas été spécifiquement conçue, ce qui nous amène à nous interroger sur sa véritable compréhension.
Le conférencier a également abordé des questions telles que la lecture des images et la façon dont l’IA est en train de changer notre manière d’appréhender le monde. Il a donné l’exemple par ChatGPT d’un grand nombre de panneaux de signalisation pour le stationnement à Montréal… Comment allons-nous survivre à cette nouvelle et meilleure forme d’intelligence ?
Les gens croient à tort que l’IA va leur voler leur travail. Ce n’est pas le cas. C’est la personne qui utilisera le mieux l’IA qui le fera…
Alex Collmer (citation tirée du support visuel)
La gouvernance évolue également rapidement, et il est essentiel de se demander si les institutions ont reçu le mandat de ces changements. Comment les devis ministériels pourront-ils évoluer à ce rythme effréné? Il a également été question d’une « économie des créateurs » et de la nécessité de former les individus à devenir des êtres humains complets, capables de monnayer leurs connaissances dans le futur.
Finalement, la conférence a poussé les personnes participantes à réfléchir à la manière dont nous pouvons devenir plus humains grâce à l’IA. Il a mis en avant l’idée de multiplier les moments de « Qualia » – le goût de la vie, la qualité de l’existence, l’expérience sensible de l’existence, en utilisant nos sens pour créer quelque chose de beau et de significatif. Personnellement, je n’avais jamais entendu cette expression, mais je l’ai adoptée! Comment célébrer la beauté à l’ère de l’IA? Comment lui donner plus de valeur? Comment l’évaluer dans le processus d’apprentissage?
Pour créer un « Green Land », il faut « enseigner la navigation et l’exploration, repenser nos approches, comprendre les principes de l’IA et des LLMs, connaître les tempêtes, accroître la Qualia par les technologies, créer l’espoir en produisant des écosystèmes d’apprentissage émouvants, devenir plus humain en enchevêtrant les intelligences humaines et machines ».
En somme, la conférence m’a permis une plongée fascinante dans le monde de l’IA, de la technologie, de l’équité et de l’humanité. Le conférencier nous a rappelé que, plutôt que de considérer l’IA comme une menace, nous devrions chercher à fusionner nos intelligences pour créer un avenir plus prometteur. C’est une invitation à explorer de nouvelles possibilités et à exploiter nos forces en tant qu’êtres humains dans ce monde en constante évolution.
Si j’ai piqué votre curiosité, le site professionnel d’Ollivier Dyens permet de visionner plusieurs conférences données dans le passé. Ça vaut le détour!