Lors de son atelier offert à i-mersion CP le 6 février dernier, Félix Arguin, coordonnateur à i-mersion CP nous a offert, au-delà d’une intrigante anecdote historique, un beau moment de réflexion sur notre rôle dans les dynamiques organisationnelles, à la fois personnelle et en tant que CP.
Le Simple Sabotage Field Manual, élaboré par les services secrets américains pendant la Seconde Guerre mondiale, offre une perspective intrigante sur le sabotage organisationnel. Déclassifié en 2008, ce manuel a été conçu dans le contexte de la lutte contre le Troisième Reich. Son objectif initial était d’inciter la population à ralentir les activités de l’ennemi en adoptant des tactiques subtiles de sabotage n’exigeant aucun matériel destructeur. Diffusé de manière confidentielle, il encourageait la population à participer activement à la résistance en adoptant des comportements simples, mais efficaces pour déstabiliser les opérations ennemies. Les conseils qu’il renferme, visant à exploiter « des opportunités universelles de prendre des décisions erronées », ont été disséminés dans l’espoir de créer des perturbations dans tous les secteurs de la vie civile. Les utilisateurs étaient incités à adopter des comportements subtils tels que l’obstruction, la déresponsabilisation, l’intransigeance et l’insistance sur des éléments non pertinents pour perturber les activités sans éveiller les soupçons. Ces tactiques étaient soigneusement élaborées pour être difficiles à détecter.
Résonance avec le monde professionnel
Quel est le rapport avec les CP d’aujourd’hui ? En découvrant ce document, Félix a été frappé en remarquant à quel point ces stratégies intentionnelles pouvaient ressembler à des comportements adoptés, intentionnellement ou non, dans toute sorte de milieux professionnels.
Le manuel décrit divers comportements saboteurs tels que l’obstruction, la procédurite, la déresponsabilisation, l’intransigeance, l’insistance, l’incohérence, l’opportunisme, la complaisance, le cynisme… En reconnaissez-vous ? Toute l’assistance de l’atelier a été invitée à réfléchir, et nombreux étaient celles et ceux qui pensaient immédiatement à des personnes ou à des comportements saboteurs !
Origines et causes du sabotage organisationnel
Une fois identifiés les comportements de sabotage, Félix nous a invités à réfléchir aux causes, et à les inscrire dans un document collaboratif sur Figma qui a servi de fil conducteur à toute la présentation. Les raisons souvent identifiées ciblaient toutefois l’individu saboteur, avec des causes évoquées telles que l’incompétence.
Les données scientifiques auxquelles Félix nous a ensuite confrontés nous ont permis de prendre un premier pas de recul… Les sources du sabotage organisationnel conscient, selon la littérature, incluent l’impuissance, la frustration, la complexité de la tâche, l’ennui, l’injustice, l’insécurité, et la peur des représailles. D’un autre côté, le sabotage inconscient peut découler de la fatigue, de la surcharge de travail, du manque de formation, de l’évitement des conflits, du manque d’empathie, de l’acceptation sociale, et du statu quo.
Il est donc crucial de reconnaître l’importance du contexte organisationnel pour comprendre ces comportements, car comme organisation, on peut créer un terreau pour limiter les réactions de repli et de protection.
Détecter et comprendre le sabotage pour le désamorcer
La détection du sabotage organisationnel peut être délicate. Les saboteurs habiles laissent souvent peu de traces, et il peut être difficile de distinguer un sabotage conscient d’un sabotage inconscient. La compréhension des motivations individuelles peut jouer un rôle crucial dans cette détection.
Pour désamorcer le sabotage organisationnel, Félix Arguin propose quatre axes d’action :
- Réfléchir à nos propres comportements
- Écouter sans jugement
- Parler avec courage
- Agir en concertation
Autrement dit, il recommande, à travers une communication ouverte, active et empathique de traiter les problèmes à la source, en se donnant les moyens d’accueillir le point de vue de l’autre. Pour encourager des comportements constructifs et réparateurs, il est essentiel de démontrer une sensibilité aux réalités des autres, d’intervenir sur les motifs plutôt que sur les manifestations, d’agir rapidement pour éviter que la situation ne s’aggrave, et d’adopter des pratiques efficaces. Assigner des tâches claires, encourager les leaders positifs, partager les responsabilités et utiliser des outils communs sont également des stratégies préventives. Enfin, l’implication de chaque membre de l’organisation, l’utilisation d’outils collaboratifs et la clarification des procédures sont des moyens concrets de prévenir et de désamorcer le sabotage.
Prévenir le sabotage à titre de CP
les CP sont-ils des démineurs organisationnels «naturels» ? C’est la question que Félix a posé à l’assistance lors de l’atelier. En effet, de par leur rôle pivot, ce sont des observateurs privilégiés du fonctionnement d’une organisation. Bien que le rôle du CP puisse être parfois difficile à naviguer, ce même rôle est précisément de créer des liens de compréhension entre des situations professionnelles différentes, et éviter que la logique de l’un ne sabote le travail de l’autre. En cela, comprendre la notion de sabotage est très précieux pour une personne CP.
Qui plus est, c’est aussi un moyen pour les CP de prendre une place essentielle dans l’organisation : agir de façon préventive sur le sabotage peut être une façon d’exercer son leadership
Conclusion
Si la prémisse de cet atelier semblait amusante et ludique, Félix nous a en réalité tendu un miroir dans lequel nous avons tous pu nous regarder pour mieux réfléchir. Comme l’a souligné une participante, quand on parle de sabotage, il est facile de penser aux autres. Mais en approfondissant notre compréhension des comportements de sabotage, elle s’est rendu compte qu’elle avait pu être elle-même la saboteuse parfois, notamment du fait de sa posture de prudence dans de nouveaux projets, qui a pu être parfois excessive sans qu’elle ne s’en rende compte. Tout le monde au sein d’une organisation peut potentiellement adopter des comportements saboteurs.
La prise de conscience de soi et des autres, la communication ouverte, la remise en question personnelle, et l’adoption de pratiques préventives sont des étapes cruciales pour minimiser les risques de sabotage organisationnel. En comprenant les origines, les comportements et les méthodes de désamorçage, les organisations peuvent travailler à créer un environnement propice à la collaboration et à la productivité. Et grâce à cet atelier, nous sommes plus à même d’être l’huile plutôt que le sable dans l’engrenage.
Pour une version abrégée de l’atelier proposé à la semaine de la FAD de FADIO, c’est par ici ainsi que la documentation.